Et la Santé Publique dans tout ça?...

Publié le par ISPMS

Les internes de moins en moins séduits par la médecine générale
LE MONDE | 27.09.05 | 13h31  •  Mis à jour le 27.09.05 | 13h31

es étudiants en médecine ne veulent pas devenir généralistes dans le nord de la France. Lors du choix des filières d'internat, 971 postes d'internes en médecine générale ­ sur les 2 400 offerts ­ n'ont pas été pourvus, dont près de 600 dans les régions du Nord.

 

Dans une vaste salle d'un centre de formation à Lognes (Seine-et-Marne), les 4 311 étudiants de sixième année de médecine ont choisi, du 14 au 26 septembre, leur spécialité de troisième cycle et la ville où ils effectueront leur internat.

Convoqués à cet "amphi de garnison" en fonction du rang obtenu lors des épreuves classantes nationales (ECN, remplaçant l'ancien concours de l'internat), les meilleurs avaient toute latitude pour décrocher le poste espéré.

Dès le 16 septembre, les 144 places de spécialités médicales (radiologie, ophtalmologie, dermatologie, etc.) à Paris étaient pourvues tandis que la médecine générale ou la santé publique peinaient à trouver un public. Ceux qui optaient pour un poste de généraliste à Amiens ou à Rouen étaient même applaudis par leurs confrères voyant ainsi se libérer une place jugée "plus intéressante".

 

DÉSAFFECTION

 

Ce n'est pas la première fois que la médecine générale est ainsi délaissée par les futurs internes. En 2004, 600 postes étaient restés vacants, certains étudiants préférant même redoubler plutôt que d'accepter une discipline et une ville qu'ils n'avaient pas choisies. Cette désaffection n'étonne personne dans l'"amphi de garnison". Elle s'explique, d'abord, par l'inadéquation entre le nombre de postes offerts toutes disciplines confondues (4 803) et le nombre de candidats (4 311).

En voulant honorer ses promesses en faveur de la santé mentale (300 postes de psychiatres) et de la chirurgie (550 postes), sans trop ponctionner les autres disciplines et tout en offrant autant de places de spécialistes que de généralistes, "le ministère de la santé a voulu satisfaire tout le monde mais a finalement aggravé la situation de la médecine générale" , regrettent les responsables de l'intersyndicale des internes en médecine générale (Isnar-IMG) qui avaient, dès le printemps, alerté les pouvoirs publics (Le Monde du 11 mars).

Ensuite, les futurs internes ont beau avoir déjà fait six années d'études, "ils ne connaissent pas la médecine générale parce qu'ils ont suivi une formation très hospitalo-universitaire" , résume Laurent Carteron, vice-président de l'Association nationale des étudiants en médecine (ANEMF).

Bien que rendu obligatoire dans les textes depuis 1997, le stage en cabinet de médecine générale au cours du deuxième cycle est quasi inexistant. Les associations étudiantes mais aussi la Conférence des doyens de facultés de médecine mettent en cause l'absence de ligne budgétaire pour rémunérer les généralistes qui acceptent d'être maîtres de stage.

Bien que la médecine générale ait été élevée, depuis deux ans, au rang de spécialité accessible par l'internat, elle n'a pas gagné en attractivité et en reconnaissance tant de la part des étudiants que des universitaires. Dans un monde médical très hiérarchisé, elle peine à gagner sa place, les étudiants privilégiant des spécialités telles que la radiologie, la dermatologie ou l'ophtalmologie, moins contraignantes et plus rémunératrices.

 

"MOINES SOLDATS"

 

"Il faut avoir une vision copernicienne de la médecine générale" , insiste le professeur Bernard Charpentier, président de la Conférence des doyens. "Les étudiants d'aujourd'hui ne veulent plus être les moines soldats d'hier mais concilier vie professionnelle et personnelle, travailler en maison médicale et en synergie avec l'hôpital" , estime-t-il. Quant au problème de la répartition géographique des généralistes "il ne pourra se résoudre que par des mesures incitatives et certainement pas par des mesures coercitives" , indique-t-on dans l'entourage du ministre de la santé. "Il faut revaloriser le métier et peut-être dissocier ce que gagne un généraliste à Cannes de ce que gagne celui installé dans une région sous-médicalisée" , propose le professeur Charpentier, qui s'inquiète de la lenteur des décisions pour résoudre le problème de la démographie médicale.

Dans l'"amphi de garnison", les étudiants notent au fur et à mesure les postes attribués. Sur grand écran, un tableau donne, en temps réel, le nombre de places restant, par discipline et par région. La médecine du travail (56 postes), la santé publique (70 postes) et la médecine générale sont les moins prisées. Le Nord-Est et le Nord-Ouest ont du mal à faire le plein.

Redoublant, Jean-Charles n'a "pas assez bossé" pour décrocher autre chose que médecine générale. "J'aurais voulu chirurgie, mais je n'étais pas assez bien classé" , raconte-t-il. Il a demandé la Lorraine, parce que sa copine est là-bas. "Je sais que je l'aurai, personne ne demande cette région." Rajah, de Saint-Etienne, et Laurence, de Lyon, repartent contentes. La première hésitait à choisir médecine du travail "mais il ne restait que des places dans le Nord" . Alors elle a préféré généraliste à Lyon, "une super ville proche de la montagne" . La seconde ne voulait pas travailler "dans cette machine de guerre qu'est l'hôpital" et cherchait "la liberté" et "la mer" . Ce sera généraliste à Nice.


Sandrine Blanchard
Article paru dans l'édition du 28.09.05
 
Edito du Monde
Déserts médicaux
LE MONDE | 27.09.05 | 13h31

n France, l'égal accès aux soins sur l'ensemble du territoire ressemble de plus en plus à une fiction. Lors du rite annuel de l'"amphi de garnison", où les 4 311 étudiants de sixième année de médecine ont choisi leur spécialité de troisième cycle et la ville où ils effectueront leur internat, 971 postes d'internes en médecine générale (600 déjà en 2004) n'ont pas été pourvus. C'est le cas pour 600 postes dans les seules régions du Nord ! De véritables déserts médicaux se profilent.

En novembre 2004, l'Observatoire national de la démographie des professions de santé (ONDPS), créé en juin 2003, avait, dans son premier rapport, tiré la sonnette d'alarme. Pointant la diminution continue du numerus clausus ­ qui est passé de 8 671 en 1977 à 3 500 en 1993 ­ et le vieillissement du corps médical, il s'inquiétait d'un "problème aigu de renouvellement". Les projections sont éloquentes : dans l'hypothèse d'un numerus clausus à 7 000 à partir de 2006 (promesse de Philippe Douste-Blazy), le nombre de médecins en activité passerait de 205 200 en 2002 à 186 000 en 2025.

En tenant compte de l'accroissement attendu de la population, la densité médicale passerait de 335 pour 100 000 habitants en 2002 à 283 en 2025, une baisse d'environ 15 %. Les inégalités territoriales, déjà fortes, risquent de s'aggraver : on compte 421 praticiens pour 100 000 habitants en Provence-Alpes-Côte d'Azur, 258 en Picardie. On préfère être radiologue à Cannes que généraliste à Cambrai.

Si rien n'est fait, la perspective démographique médicale est critique. De 2008 à 2015, le solde annuel entre les entrées et les sorties sera négatif. Ainsi, en 2014, il y aurait 8 000 départs de médecins pour 5 500 arrivées. Ce n'est qu'à partir de 2016 que la situation cesserait de se détériorer. Ce déséquilibre de la démographie médicale repose inévitablement la question de la libre installation des médecins. En 2004, le Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance-maladie a levé le tabou en envisageant de "lier la question du conventionnement et celle de l'installation". Un médecin installé dans une zone surmédicalisée ne serait pas conventionné...

Les pouvoirs publics écartent des mesures coercitives qui se heurteraient à l'hostilité des médecins, et privilégient, outre le relèvement du numerus clausus ­ 6 300 en 2005 contre 5 600 en 2004 ­, l'incitation. Mais les marges de manoeuvre sont étroites. La reconnaissance, en 2003, de la médecine générale comme spécialité a été un échec. Ne faut-il pas, comme le suggère Yvon Berland, président de l'ONDPS, dégager les moyens, d'abord budgétaires, pour permettre aux étudiants d'effectuer vraiment des stages de médecine générale en ville et plus encore en zone rurale ? M. Berland préconise surtout de revoir le système des épreuves classantes nationales (ECN) en organisant le concours dans sept interrégions, où on planifierait les besoins des filières en fonction de la démographie médicale. Les pouvoirs publics y semblent favorables. Mais il y a urgence à passer à l'acte.


Article paru dans l'édition du 28.09.05
Trois questions à Yvon Berland
LE MONDE | 27.09.05 | 13h31  •  Mis à jour le 27.09.05 | 13h31

ous êtes président de l'Observatoire national de la démographie des professions de santé (ONDPS), que pensez-vous des résultats de l'amphi de garnison à l'issue duquel 971 postes d'internes en médecine générale restent vacants ?

 

C'est la deuxième année que ce phénomène se produit, et cela devient problématique. Il y a un risque de déficit de médecins de famille pour les soins de premier recours et de déséquilibre dans la répartition géographique de ces professionnels. Il est nécessaire de prendre des mesures qui puissent agir sur ces deux problèmes.

 

Quelles mesures préconisez-vous ?

 

Pour ce qui est de la spécialité, il faut revaloriser la médecine générale. Actuellement, ce sont les spécialités "techniques" qui sont les mieux valorisées, au détriment de celles où l'acte intellectuel prédomine. Les étudiants doivent savoir ce qu'est cette discipline. Or, pendant leur deuxième cycle, ils ne voient que le fonctionnement des centres hospitaliers universitaires (CHU). Il ne faut alors pas s'étonner qu'ils reproduisent cela lors de leur choix d'internat. Ils ne choisissent pas ce qu'ils ne connaissent pas. Il faut dégager les moyens nécessaires pour faire appliquer les stages de médecine générale en ville, mais aussi dans les zones rurales.

Quant au problème de la répartition géographique, il est urgent de revoir le système des épreuves classantes nationales (ECN). Il faudrait organiser le concours à l'échelle des sept interrégions.

A l'intérieur de chacune d'entre elles, la situation de la démographie médicale serait étudiée afin de planifier les besoins des filières. Plus on se rapprochera d'un périmètre "palpable", plus on s'adaptera à la réalité du terrain. Actuellement, les étudiants sont parfois contraints ­ du fait de leur classement ­ de changer d'interrégion. Ils préfèrent invalider leur choix et redoubler. Il faut que les étudiants puissent faire leur troisième cycle dans la même région que leurs premier et second cycles.

Comment expliquer que la réforme de l'internat ait abouti à ce désintérêt pour la médecine générale ?

Il y a deux ans, les pouvoirs publics ont fait de la médecine générale une spécialité, en espérant que cela lui apporterait une meilleure reconnaissance : pour l'instant, c'est un échec. Avant les ENC, les étudiants qui ne passaient pas le concours de l'internat devenaient médecins généralistes dans leur région parce que c'est un métier de proximité. Aujourd'hui, en étant classé nationalement, un étudiant de Nancy qui voudrait être généraliste peut se retrouver dans le Nord - Pas-de-Calais. Or il ne veut pas y aller.

 


Propos recueillis par Sandrine Blanchard
Article paru dans l'édition du 28.09.05
 

Publié dans Les ISP ont la parole.

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